Biographie de l'enseigne, de la rue au musée

Une enseigne au sein d’un dispositif publicitaire

Sur la façade du 14, rue Mouffetard qui donne sur la place de la Contrescarpe, l’enseigne établie en 1897 s’intégrait au dispositif publicitaire de l’épicerie : panneaux et pignons peints vantant les tarifs pratiqués en détaillant les produits vendus, d’autres panneaux rappelant le commerce de gros et de détail pratiqué dans la boutique, et enfin deux larges bandeaux horizontaux affichant le nom de l’épicerie (« Au Nègre joyeux ») et le produit d’appel du commerce (« Cafés »).
 

Épicerie « Au Nègre joyeux », angle des rues Blainville et Mouffetard, Eugène Atget, 1908.

Sur cette photographie d’Eugène Atget, on peut voir l’enseigne dans sa disposition au début du 20e siècle. Le bandeau supérieur et plusieurs panneaux verticaux indiquent la nature des produits vendus, notamment des cafés, tandis qu’on peut reconnaître le tableau peint juste au-dessus du store de la devanture, au centre.

Dans les années 1960, la devanture de l’épicerie est renouvelée. Son nom change, de même que la nature des produits qui y sont alors vendus. En conséquence, le bandeau supérieur « Cafés » est déposé quelques années plus tard, ne restent alors que le bandeau central portant l’inscription « Au Nègre joyeux » et le tableau peint superposés.
En 1986, soucieux de l’état de l’œuvre, altérée par son exposition prolongée en extérieur, les copropriétaires de l’immeuble sis 14, rue Mouffetard entrent en contact avec les services de la Ville de Paris. Ces échanges aboutissent à une proposition de donation de l’enseigne par la copropriété à la Ville de Paris, acceptée par une délibération du Conseil de Paris en séance du 24 octobre 1988. Les deux éléments restent cependant en place.

Les opérations de restauration de l’enseigne


Le tableau fait l’objet d’une dégradation en 1999. La vitre de protection placée devant l’œuvre a été brisée, ce qui a engendré des dommages sur l’œuvre elle-même. En 2000, le tableau est déposé et temporairement entreposé dans une réserve de la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles (Coarc) en vue de sa restauration par la restauratrice Madeleine Hanaire. Replacée sur la façade en 2002, munie d’un verre de protection, l’enseigne est à nouveau détériorée à plusieurs reprises entre 2002 et 2018. Impacts sur le verre de protection du tableau, jets de peinture voire tentatives de dépose se succèdent. En mars 2018, l’enseigne est déposée pour restauration dans le cadre du budget participatif de la Ville de Paris suite à la proposition d’un collectif d’habitants du 5e arrondissement.
 

L’enseigne « Au Nègre joyeux », vandalisée avant sa dépose, 2018.

Une nouvelle intervention de restauration est alors confiée à Monika Neuner. Sur le tableau, la restauratrice a procédé à un allègement et à un décrassage de la couche picturale, suivis de retouches ponctuelles et de la pose d’un vernis. L’état de dégradation avancé du bandeau a nécessité plusieurs interventions structurelles, dont la réfection des trois panneaux en tôle d’acier qui soutenaient sa structure, la repose après retouche des lettres originales en zinc et enfin la réfection des moulures en bois.

La présentation du tableau au musée Carnavalet - Histoire de Paris

Le tableau peint est exposé au musée Carnavalet depuis sa réouverture en 2021. Le bandeau, de dimensions imposantes (5,54 mètres de long sur 69,5 cm de haut), ne peut pas être exposé. Sa présence est rappelée par une photographie commentée sur le cartel de l’œuvre.
L’enseigne est présentée à proximité de deux autres enseignes des collections du musée qui figurent des personnages noirs, toutes deux portant le titre « À la tête noire ». Ces deux représentations, réalisées entre le 18e siècle et la première moitié du 19e siècle, sont antérieures à l’enseigne « Au Nègre joyeux ». L’une sert au commerce du vin, l’autre à un marchand de meubles.
L’enseigne de marchand de vins fait référence à une tradition présente dès l’époque médiévale, qui associe l’homme noir au monde de la nuit. L’image de l’homme noir est fréquente dans la publicité dès le 18e siècle : les clichés racistes servent d’arguments de vente, associant l’homme noir à la jouissance ou à la paresse, afin de vendre des produits tels que le vin, le tabac ou divers objets de confort. Le costume à l’antique pourrait également renvoyer aux banquets romains, durant lesquels le vin était servi par des esclaves. Quant à l’enseigne du marchand de meubles, elle s’inscrit dans la veine de représentations exotiques, typiques de son époque de production.

« À la tête noire »Enseigne de marchand de vins, anciennement 187, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 11e arr. 18e siècle
« À la tête noire » enseigne de marchand de meubles et de tapissier, anciennement 28 ter puis 44, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 11e arr. Début du 19e siècle

Le texte du cartel de l’enseigne « Au Nègre joyeux » a été élaboré par le comité scientifique mis en place en 2018 (formé des historiens Anne Lafont, Syliane Larcher, Pap Ndiaye, Emmanuelle Sibeud ; Marie Aynié, secrétaire générale du Comité d’histoire de la Ville de Paris ; Valérie Guillaume, Marie-Laure Deschamps et Noémie Giard pour le musée Carnavalet – Histoire de Paris) :
« Souvent utilisés pour la publicité de produits alimentaires importés des colonies, l’image de l’homme noir et le mot “nègre” renvoient aussi à l’histoire de l’esclavage, celui-ci ayant été aboli en France en 1848. Ici, l’homme vêtu d’un costume du 18e siècle s’apprête à se servir. Cette représentation parodique, qui inverse l’image courante du serviteur noir, témoigne des clichés et stéréotypes racistes répandus à la fin du 19e siècle. »

image de la cimaise du musée Carnavalet
Les trois enseignes présentées dans le parcours des collections.